LA DEMANDE FAITE AU PREFET DE DEFERER UN ACTE DEVANT LE JUGE SUSPEND-T-ELLE LE DELAI DE RECOURS CONTENTIEUX ?
QUELS SONT LES FAITS DE L'ESPECE ?
Une société s'est adressée à son administration pour qu'elle accepte de lui accorder un permis de construire modificatif qui porte sur un ensemble de trois bâtiments composés de 54 logements. Néanmoins, ce permis lui est refusé par un arrêté municipal en date du 17 juin 2016.
Remarque : Un permis de construire modificatif est l'expression qui est donnée aux permis de construire qui ne font que modifier de manière limitée un permis déjà accordé sans que cette modification ne bouleverse l'économie générale du permis ainsi modifié.
Estimant que ce refus n'est pas légitime, la société s'adresse au Préfet de rattachement de sa commune afin qu'il exerce un déféré préfectoral et saisisse le juge de l'excès de pouvoir à sa place. Le Préfet répond par deux courriels, dans un premier temps, le 18 aout, il indique aux requérants les voies et délais de recours administratifs ou contentieux contre cet arrêté, puis dans un second temps, le 14 septembre, il indique que le délai lui permettant d'exercer un déféré préfectoral contre une telle décision de l'administration est expiré depuis le 17 aout.
La société décide alors de saisir le Tribunal administratif seule. Malheureusement, que ce soit en première instance ou en appel, les juges administratifs rejettent la requête de la société car ils considèrent que celle-ci a été déposée tardivement. C'est contre l'arrêt rendu en appel que la société se pourvoie en cassation devant le Conseil d'Etat.
COMMENT FONCTIONNE LE DEFERE PREFECTORAL SUR DEMANDE DE L'ADMINISTRE ?
Les conseillers d'Etat vont prendre le soin dans leur décision de rappeler les règles qui encadrent le déféré préfectoral dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT). Tout d'abord, l'article L.2131-6 du CGCT permet au préfet dans le cadre du contrôle de légalité des actes administratifs des collectivités territoriales, de saisir le juge administratif des actes qu'il estime contraire à la législation. Ce pouvoir trouve sa source dans l'article 72 de la Constitution Française qui fait du Préfet le garant du respect et de l'unité de l'application de la Loi dans tous les territoires. En effet, le CGCT instaure un mécanisme de transmission obligatoire de certains actes administratifs locaux importants. Cette transmission au Préfet conditionne le caractère exécutoire de l'acte. De plus, le représentant de l'Etat dans les territoires peut demander que certains actes qui ne sont pas soumis au régime de la transmission obligatoire lui soient transmis.
C'est contre ces actes dont il a ou dont il peut avoir connaissance que le Préfet a la possibilité de saisir le juge. Néanmoins, la saisine du juge administratif par le Préfet peut se faire à l'initiative d'un administré. Comme le conseil d'Etat le rappelle dans cette décision, l'article L.2131-8 du CGCT permet à une personne qui s'estime lésée par un acte administratif d'une collectivité territoriale de demander au Préfet d'exercer un déféré préfectoral de cet acte devant le juge de l'administration. Cette demande doit néanmoins être opérée au maximum deux mois après que l'acte contesté soit devenu exécutoire. Cette faculté offerte aux administrés concerne les actes dont le Préfet est susceptible d'avoir connaissance qui sont visés par les articles L.2131-2 et L.2131-3 du CGCT, c'est à dire ceux qui sont obligatoirement transmis au services de la préfecture ou ceux qui peuvent faire l'objet d'une communication sur demande du Préfet.
Cependant, le Préfet dispose d'une compétence discrétionnaire pour décider s'il va donner suite ou non à cette demande, au même titre qu'il est totalement libre de saisir le juge des actes dont il a connaissance et qui lui paraissent illégaux. Ce principe est tiré de la jurisprudence Brasseur du conseil d'Etat rendue en 1991. Cette décision de principe et celles qui ont suivies ont apportées des précisions qui sont rappelé par les juges dans la décision dont il est question ici.
Premièrement, la saisine du Préfet n'a pas pour effet de priver l'administré de la faculté de saisir indépendamment le juge administratif. Deuxièmement, la décision du Préfet de refuser d'exercer un déféré préfectoral sur demande d'un administré n'est pas susceptible d'être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir. Enfin, si elle n'est pas contestable, la décision de refus de déférer réouvre le délai de recours contentieux de 2 mois (délai pour saisir le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir) à l'encontre de la première décision administrative qui a engendré ce litige.
LE DELAI POUR SAISIR LE JUGE EST-IL CONSERVE PAR LA DEMANDE ADRESSE AU PREFET EN L'ESPECE ?
Dans l'affaire dont il est question ici, il n'est pas contesté que la demande de l'administré adressée au Préfet est intervenue dans le délai de recours contentieux, c'est à dire le délai dont il bénéficiait pour contester, devant le juge, la décision de ne pas lui accorder le permis de construire modificatif. Néanmoins, cette demande s'est faite sous la forme d'un courrier adressé aux services de la préfecture et celui-ci était dénommé maladroitement "recours hiérarchique pour annulation".
Les juges de première instance et d'appel ont alors considéré que ce courrier ne constituait pas une demande de déféré préfectoral à l'encontre d'un acte d'une collectivité en l'absence d'un demande claire de saisir le tribunal. Donc, selon ces juges, un telle demande n'a pas pu avoir pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux et de le faire courir à nouveau après la décision implicite ou explicite du Préfet de ne pas exercer de déféré préfectoral.
Cependant, le conseil d'Etat va rappeler une obligation qui pèse sur les juges administratifs lorsqu'ils traitent de recours administratifs. En effet, il incombe aux juges d'interpréter la demande faite par l'administré à l'administration, d'apprécier la portée au regard de l'intention du requérant, des termes de la demande et des circonstances, tout en veillant à donner un réel effet utile à cette demande. En l'espèce, les conseillers d'Etat relèvent que la demande visait bien à l'annulation pour cause d'illégalité de l'arrêté municipal et que les juges du fond ont manqué à leur obligation de donner un effet utile à cette demande.
L'affaire est alors renvoyée devant la Cour administrative d'appel qui sera maintenant chargée d'examiner si un telle demande, qui doit d'interpréter comme une demande de déféré préfectoral à l'encontre d'un acte administratif, a prorogé le délai de recours contentieux au bénéfice de la société de telle sorte que la saisine du juge administratif après le refus de déférer du Préfet n'est pas tardive.
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