DISCRIMINATION D’UNE MAGISTRATE EN SITUATION DE HANDICAP : QUELLE SANCTION POUR L’ÉTAT ?
Tribunal administratif de Paris, 11 janvier 2024, n°2116343
LA SITUATION DE HANDICAP DE L’AGENT DOIT-ELLE ETRE PRISE EN COMPTE DANS LE CALCUL D’UNE PRIME ?
OUI - En l’espèce, la requérante percevait une prime qui était bien en deçà de la somme allouée aux autres magistrats.
En effet, la prime était fixée par rapport à plusieurs critères :
« pour fixer les taux de la prime modulable attribué à Mme B pour les années litigieuses, le procureur général a appliqué des critères objectifs, qui l'ont conduit à accorder un taux supérieur ou égal au taux moyen de 12 % aux magistrats " ayant des missions particulièrement lourdes d'action publique, en tenant compte notamment le siège du ministère public dans des affaires de terrorisme, de génocide ou de criminalité organisée ou encore, ayant des missions de coordination et de gestion des flux juridictionnels tout au long de l'année " et aux magistrats qui ont " des contraintes liées aux permanences d'action publique pendant les week-ends () " »
Pour autant, ces critères doivent être appréciés en fonction de la situation de handicap de la requérante :
« Toutefois, si les critères retenus par le procureur général, tels qu'exposés ci-dessus, peuvent être regardés comme permettant d'apprécier la contribution de chaque magistrat au bon fonctionnement de l'institution judiciaire, ils n'ont toutefois pas été appliqués à la situation particulière de Mme B, en tenant compte de sa situation de handicap et des spécificités en découlant dans l'exercice de ses fonctions. Dans ces conditions, la péréquation invoquée en défense ne saurait permettre de justifier les taux de prime attribués à la requérante. Il en résulte que Mme B est fondée à soutenir que les décisions attaquées, en ce qu'elles n'ont pas pris en compte les sujétions inhérentes à son handicap, sont entachées d'une discrimination indirecte. »
L’ABSENCE DE PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION DE HANDICAP EST-ELLE DE NATURE À ENGAGER LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT ?
OUI - Le juge administratif a relevé plusieurs comportements fautifs de l’administration. En effet, en plus de la faiblesse de la valeur de la prime allouée, la magistrate n’avait plus de greffe, n'apparaissait plus sur l'organigramme de la juridiction, n’avait plus eu accès aux réunions, ne recevait plus les mails de service et son bureau avait été déménagé au dernier étage entraînant un isolement physique.
Dès lors, le juge a rappelé les fondements de la responsabilité administrative de harcèlement moral :
« D'une part, toute illégalité est fautive et, comme telle, susceptible d'engager la responsabilité de l'État dès lors qu'elle est à l'origine des préjudices subis. En l'espèce, ainsi qu'il a été exposé au point 6, les décisions fixant le taux de prime modulable de Mme B, au titre des années 2014 à 2019 sont illégales. Par suite, l'illégalité fautive ainsi constatée est de nature à engager la responsabilité de l'État, à raison des préjudices directs et certains causés à Mme B. 12.
D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel." »
« Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. »
Le juge en a conclu que « Dans ces conditions, Mme B apporte des éléments précis et concordants de nature à faire présumer de l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral perpétrés à son encontre. » et « dans les circonstances de l'espèce, compte-tenu notamment de la répétition sur plusieurs années du comportement discriminatoire de l'administration à l'égard de la requérante, celle-ci a effectivement subi un préjudice moral certain. Il sera fait une juste appréciation dudit préjudice en l'évaluant à la somme de 30 000 euros. »
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