Les modes alternatifs de règlement des conflits dans les contrats publics #3
par Héloïse Crépel, juriste doctorante du cabinet Lapuelle
Les procédés de règlement amiable des différends spécifiques à la commande publique sont au nombre de deux :
- La médiation, et
- La conciliation.
A. La médiation
Depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 [1], une nouvelle procédure de médiation est entrée dans le droit administratif.
Conformément au Code de justice administrative [2], la médiation peut être initiée soit par les parties au contrat, soit à l’initiative de la juridiction saisie d’un litige.
Les parties ont la possibilité d’insérer une clause de médiation dans le contrat afin de prévenir de la survenance d’un différend lors de l’exécution de la convention et choisir un tiers médiateur. Ce n’est qu’en cas d’échec de cette médiation que le recours au juge pourra s’effectuer.
Par ailleurs, le fait qu’aucun recours à la médiation n’ait été prévu dans le contrat n’interdit pas aux parties d’y recourir.
Ce tiers médiateur doit présenter des garanties procédurales de probité, indépendante, loyauté et impartialité.
Etant ici précisé qu’en matière de marchés publics, les dispositions de l’article L.213-6 du CJA [3] ne s’appliquent pas pour laisser place aux délais fixés par les CCAG [4].
A contrario, ces dernières dispositions ne s’appliquent pas en matière de concession. Autorités concédantes, soyez donc vigilantes quant à la formulation de votre demande de médiation !
Le recours à une procédure de médiation suspend les délais de recours contentieux, ainsi que les délais de prescription à compter de la date à laquelle les parties conviennent du recours à une médiation, qui ne recommencent qu’à compter de la date à laquelle les parties ou le médiateur déclarent achever la médiation.
B. La conciliation
--> En matière de marchés publics
Dans le cas où le différend résulte de l’exécution d’un marché public, les acheteurs ont le choix soit de saisir un CCRA ; soit de saisir le médiateur des entreprises (institué par l’article 142 du décret du 25 mars 2016 [5]).
Il est important de préciser que la réforme de la commande publique fait constater que ce sont toujours les acteurs qui sont visés et non la conciliation et la médiation en tant que modes de règlement amiable des conflits. Doit-on le regretter ? C’est encore trop tôt pour le dire, mais une chose est sûre : privilégier un acteur de la conciliation ou de la médiation ne valorise pas ces modes en tant que tels.
1. Le comité consultatif de règlement amiable des litiges
Créés en 1907, ces organismes peuvent être saisis de tout litige au cours de l’exécution d’un marché public ou d’un accord cadre.
Composés de manière paritaire, ils sont présidés par un magistrat administratif [6]. A la demande du titulaire du marché ou de l’acheteur public, ils recherchent les éléments de fait ou de droit en vue d’une solution amiable et équitable.
Le Code de la commande publique ne modifie en rien le formalisme procédural et les modalités d’intervention des CCRA (v. chapitre VII section 1 de la partie relative aux marchés publics).
Les avantages du recours au CCRA sont les suivants :
- Éviter un contentieux,
- Avoir la garantie d’une procédure rapide (article D.2197-21 du CCP [7]),
- Procédure souple et efficace,
- Recours gratuit et non contraignant sans force obligatoire,
- Autorité et équilibre + composition paritaire de six membres,
- Mode alternatif institutionnalisé dans les CCAG de 2009 (à la différence d’une clause compromissoire ou d’une mesure de médiation conventionnelle).
2. Le médiateur des entreprises
Il s’agit d’un service créé auprès du ministre de l’Économie et des Finances ainsi que du ministre de l’avion et des comptes publics.
Il agit pendant la phase d’exécution du marché au cours de laquelle les motifs de litiges ne manquent pas : pénalités de retard, délais de paiement, travaux supplémentaires, etc.
Il doit s’assurer du respect des règles relatives à la médiation inscrites dans le CJA, qui définit la médiation à son article L.213-1 comme suit :
« La médiation régie par le présent chapitre s'entend de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction. »
Le médiateur doit notamment cumuler les qualités requises, telle que l’impartialité et la diligence (article L.213-2 du CJA [8]).
Le champ d’application de la médiation est vaste : elle porte « sur tout ou partie d’un litige » (article R.213-1 du CJA [9]).
3. Conséquences de la codification
A la lecture de ce tableau en introduction, nous pouvons constater que la codification s’est faite a minima et se borne à renvoyer aux dispositions du CRPA ou du Code civil.
Toutefois, concernant les règles de prescription en cas de conciliation ou de médiation, celles-ci ont été harmonisées, et peuvent être résumées comme résumé dans le tableau annexé au présent article (v. Tableau 2 [10]).
--> En matière de concessions
Tout d’abord, il est important de bien distinguer le contrat qui prévoit la conciliation comme une phase obligatoire au règlement du litige et celui qui prévoit la conciliation comme une phase facultative.
1. Lorsqu’elle est facultative, la clause est généralement rédigée de telle manière que la saisine du juge constitue le principe, tout en précisant que les différends pourront préalablement portés devant une commission de conciliation, au choix des parties.
Toutefois, dans la pratique, ces clauses sont très peu appliquées et les parties n’hésitent pas à porter leur litige devant les tribunaux. Nous pourrions donc penser que rendre la conciliation obligatoire au règlement de tout litige pourrait faire d’elle une procédure efficace…
2. Lorsqu’elle est obligatoire, les recours directement engagés devant le juge administratif sans que la commission de conciliation ne se soit prononcée seront déclarés irrecevables au nom du principe de loyauté des relations contractuelles. Les parties respectent ce qu’elles ont fixé [11].
Autrement dit, en cas de conciliation obligatoire, l’autorité concédante ne peut émettre un titre exécutoire à l’encontre de son cocontractant ou saisir le juge administratif à fins de condamnation de ce dernier, dès lors que cette créance trouve son origine dans le contrat, avant que la procédure de conciliation n’ait été menée à son terme, ou à tout le mois, en cas d’urgence.
Lorsqu’elle est obligatoire, elle se déroule généralement en trois étapes :
- Remise d’un mémoire (de l’une ou l’autre des parties) dans lequel seront exposés les motifs du différend et les conséquences de nature administrative, technique et/ou financière qui en résulte. L’exécution du contrat est encore obligatoire à ce stade ;
- Saisine d’une commission de conciliation chargée de proposer une solution au différend (dans l’hypothèse où le concessionnaire a seul l’initiative de la rédaction du mémoire).
Cette commission est généralement composée de trois membres :
-- L’un désigné par l’autorité concédante,
-- L’un désigné par le concessionnaire,
-- L’un désigné par les deux parties, ou à défaut par le Président du Tribunal administratif compétent territorialement. Toutefois, en pratique, les magistrats refusant très souvent de se prononcer, cette rédaction est à éviter.
Elle peut être aussi composée d’un seul membre pour éviter d’alourdir la procédure.
Le conciliateur ou la commission rend ensuite un rapport écrit.
Une fois le rapport écrit rendu, deux issues sont possibles :
1. Les parties s’en remettent à l’avis de la commission et concrétiser leur accord par la voie d’une transaction [12]. Cette dernière doit être écrite « permettant de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître » [13]. Les parties peuvent également sceller leur accord dans un avenant au contrat ;
2. Toutefois, en cas de désaccord persistant entre les parties, celles-ci seront autorisées à saisir les juridictions administratives.
Finalement, à l’heure où les MARC sont encouragés, les collectivités, comme les concessionnaires, ont tout intérêt à prévoir dans leurs contrats de concession des clauses de conciliation. Toutefois, ces clauses mériteraient d’être rédigées d’une manière plus innovante.
[1] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dite J21.
[2] Articles L. 213 et s. et R.213 et s. du CJA.
[4] CAA Douai, 17 nov. 2016, Société Cabrol Construction Métallique, n° 15DA00465.
[5] Article 142 du décret du 25 mars 2016 (abrogé).
[7] Article D. 2197-21 du CCP.
[10] FRACKOWIAK (C.), « La codification des modes de règlement alternatif des différends », Contrats publics 2019, n° 195, p. 73
[11] CAA Marseille, 29 janv. 2018, Société Moderne d’assainissement c. SMIDDEV, n° 14PA03906.
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